Avec la participation du Dr Marie-Pierre GLAVIANO-CECCALDI, Vice-Présidente du CNOM, et du Dr Pierre FOLDES, urologue, qui a mis au point une technique chirurgicale de réparation des mutilations sexuelles.

Le Dr Prudhomme présente l’action des deux invités en faveur de la défense des victimes de violences conjugales et plus particulièrement des femmes. Il rappelle que les conseillers suppléants ont été conviés à participer à cette présentation par visioconférence. Il souhaite que ces échanges permettent de comprendre comment les nouvelles dispositions du code pénal pourront s’articuler avec la préservation du secret médical.

Il invite le Dr GLAVIANO-CECCALDI à exposer les principales caractéristiques de ce texte.

Le Dr GLAVIANO-CECCALDI expose qu’elle a exercé une activité de médecin légiste qui, de longue date, l’a sensibilisée aux violences faites aux femmes. C’est dans cet esprit qu’elle a constitué un Comité national des violences intra-familiales (CNVIF), indépendant, pluridisciplinaire, interinstitutionnel rassemblant plus de 73 experts bénévoles, qui bénéficie du soutien logistique matériel du CNOM. Le Dr Pierre FOLDES en est le Vice-Président.

Mme GLAVIANO-CECCALDI précise qu’avant d’entrer dans le détail de la réforme de l’article 226-14 du code pénal par la loi du 30 juillet 2020, elle souhaite laisser la parole au Dr FOLDES.

Le Dr FOLDES souhaite évoquer la gravité du problème des violences faites aux femmes et aux enfants et leur prévalence. Les chiffres actuels sont très impressionnants. La France se situe dans une moyenne avec presque 4 femmes sur 10 qui sont confrontées dans leur vie au problème de la violence faite aux femmes. C’est un des plus gros problèmes de santé public. Il souligne la difficulté liée au fait que ce sujet a longtemps donné lieu à un traitement morcelé. Il expose que les YVELINES n’échappent pas au phénomène, loin s’en faut. Il met en évidence le fait que près de 7 femmes sur 10 vont être en relation avec un professionnel de santé alors que les médecins n’ont pas été intégrés au processus mis en œuvre pour préserver les victimes. Le médecin doit donc selon lui devenir l’un des acteurs principaux de la prise en compte de ces situations. Il sait que le pendant judiciaire soulève des craintes de la part des médecins en ce qu’il peut notamment altérer le dialogue singulier entre le patient et le médecin.

Les deux intervenants expliquent que le courrier adressé par le Dr PRUDHOMME au CNOM en mars 2020 est parfaitement compréhensible.

Le Dr GLAVIANO-CECCALDI rappelle que la femme majeure victime de violences n’est pas une incapable majeure et la plupart du temps n’est pas handicapée. Elle n’entre donc pas dans le cas dérogatoire qui permet à un médecin d’alerter le Procureur. Cependant, la victime va se retrouver dans un cycle de violences qui va la conduire à ne plus connaître de phase de « lune de miel » et lui faire perdre pied. Cette situation va permettre à l’auteur de créer une emprise telle qu’elle ne pourra plus elle-même porter plainte. Elle pourrait même ne pas donner son accord au médecin qui le lui demanderait.

Le CNOM qui a eu la chance de faire partie du groupe de travail justice a obtenu que la dérogation soit permissive et non dérogatoire. Le Dr GLAVIANIO-CECCALDI invite les médecins à s’approprier le vade-mecum qui a été élaboré par les différents intervenants. Elle précise que le médecin recevra un accusé réception de son signalement et pourra être éclairé par le Procureur sur l’issue de son signalement. Il pourra notamment dans son courriel aux services du Parquet faire part de ses interrogations particulières et indiquer s’il redoute d’être lui-même victime de violences éventuelles consécutivement à son signalement.

Après le passage de la loi, la préoccupation des porteurs du projet a été la mise en œuvre au niveau local. Des protocoles pilotes ont été rédigés (Bouches-du-Rhône, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Atlantiques). Un protocole type sera présenté en avril au CNOM pour le soumettre au vote.

Le Dr PRUDHOMME s’interroge sur ce qui devra conduire le médecin à produire son signalement au Procureur : dès qu’il a connaissance de violences ou lorsqu’il pressent que ces violences vont représenter un danger pour la victime ? Il s’interroge sur les limites de son appréciation. Il souligne les conséquences graves des signalements, aux plans judiciaires et administratifs, avec des familles qui se retrouvent parfois brisées.

Il pose également la question de la confiance des victimes à l’égard de leur médecin alors qu’elles savent que ce médecin pourra à tout moment faire un signalement s’il estime que les faits le justifient et ce, sans leur consentement.

Le Dr GLAVIANO-CECCALDI indique que deux cas de figure doivent être considérés. En premier lieu le médecin généraliste qui connait la famille et ses difficultés. Le signalement doit être considéré comme l’ultime recours. S’il a l’intime conviction que la victime court un grand danger et qu’il existe un risque de ne pas revoir la victime, il doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime. Elle souligne cependant que le cycle des violences qui place sous emprise la victime la conduit à ne plus être en mesure de prendre une décision pour elle-même. La seule réponse à cette situation est de faire un signalement.

La seconde situation concerne un médecin qui occasionnellement reçoit une victime. Il s’agit d’un dilemme éthique et déontologique. Elle indique que le médecin ne se substitue pas à la victime mais répond à une urgence vitale.

Le Dr de BASTARD indique que les médecins sont particulièrement sensibles à cette problématique mais qu’ils s’interrogent sur le rôle qu’on veut leur faire jouer. Il souligne que bon nombre des femmes victimes se présentent aux urgences. Les médecins urgentistes qui reçoivent ces victimes ne connaissent pas le contexte et ne sont donc pas en mesure d’apprécier leur situation et sa gravité éventuelle. Il se demande si leur responsabilité pour avoir déclenché un signalement ou ne l’avoir pas fait pourrait être recherchée.

Il met également en évidence le fait que ces victimes se présentent souvent auprès des médecins pour obtenir un certificat, un document à produire ultérieurement.

Le Dr GLAVIANO-CECCALDI rappelle les termes du texte qui prévoit que le professionnel qui estime en conscience que la victime court un risque létal a la possibilité de le signaler. C’est une dérogation permissive et il n’est pas demandé au professionnel de santé d’apporter la preuve de son estimation en conscience. Il ne pourra donc pas être reproché au médecin de ne pas avoir fait un signalement selon elle. Cette intégration dans la loi offre aux médecins une protection civile, pénale et disciplinaire. Cela n’empêchera pas une plainte et la nécessité de se défendre.

Me CHAMPAGNE rappelle que ce nouveau texte est un ajout qui permet de se dispenser de l’accord de la victime majeure pour lui apporter la protection nécessaire. Il faut rappeler qu’il s’agit d’une disposition législative permissive qui autorise à contourner l’obligation absolue au secret médical. Le texte est protecteur du médecin. Peut-il être condamné pour l’appréciation qu’il a eue du danger pesant sur la victime ? L’examen du critère de danger vital imminent peut être compliqué à déterminer. Le caractère de danger imminent d’issue fatale (proximité, drame absolu la fois prochaine) complique la tâche du médecin et le protège dans le même temps puisque l’appréciation sera nécessairement subjective.

Concernant les poursuites, il existe un risque réel. Si le médecin se voit reprocher de ne pas avoir fait de signalement, il sera protégé par le secret professionnel et l’examen « en conscience » du caractère vital du danger ainsi que de son caractère imminent. Au contraire, le médecin peut être attaqué pour violation du secret médical. En dehors du cas qui serait éclatant d’imprudence et de précipitation, il sera très compliqué pour le Parquet de poursuivre un médecin qui pensait bien faire. Au plan ordinal, il serait également compliqué de poursuivre le médecin.

Le Dr FOLDES ajoute que les victimes subissent de longues histoires et compte tenu de leur observation privilégiée, il estime que les médecins doivent être ceux qui prennent le risque qui conduira peut-être à sauver une vie. Quelles que soient les réserves émises concernant le secret et les conséquences, il juge que cette nouvelle disposition n’est pas disproportionnée et au contraire justifiée par l’enjeu vital.

Le Dr GLAVIANO-CECCALDI espère que des journées de sensibilisation seront organisées dans les Yvelines. Le CNVIF organisera pour sa part un séminaire le 15 octobre 2021 « de la détection à l’outil de protection » ouvert aux CDOM. Elle invite à la constitution d’une cellule de référents au sein du CDOM.

Le Dr BERTIN-HUGAULT évoque le lien de confiance avec les victimes concernant le risque notamment qu’elles n’aillent plus voir leur médecin en pratiquant un nomadisme médical de peur qu’un signalement ne soit fait contre leur volonté. Il se demande ce qui a pu être observé dans des pays étrangers et si des solutions similaires ont pu conduire à améliorer la situation observée aujourd’hui. Il suggère une échelle d’évaluation sur laquelle les médecins pourraient s’appuyer pour faciliter leur lecture des situations qu’ils auront à apprécier.

Le DR GLAVIANO-CECCALDI se demande ce qu’il doit advenir de la relation de confiance si, en son nom, un signalement n’est pas possible et conduit à la mort de la victime. Elle ignore si une comparaison internationale existe.

Le Dr de BASTARD indique que nul ne doute de l’avancée que représente ce texte pour les femmes et les victimes en général. Il insiste en revanche sur la nécessité pour le CNOM de demeurer vigilant sur l’instrumentalisation qui pourrait en être faite dans des procédures judiciaires de cette possibilité de signalement.

Le Dr GLAVIANO-CECCALDI insiste sur le fait qu’aucune déclaration du médecin ne devra figurer sur un document écrit. En effet, sa décision ne donnera pas lieu à la rédaction d’un écrit susceptible de finir entre les mains de telle ou telle partie à un procès.

Le Dr GAILLEDREAU soutient qu’une victime adulte, contrairement à un enfant ou à un majeur protégé, est capable de manipulations. Il souligne que les faisceaux d’indices figurant dans le vade-mecum pour faciliter l’appréciation des médecins sont parfaitement subjectifs. Indépendamment du risque juridique il souhaite faire part de ses réserves quant aux conséquences de ces sollicitations sur le statut du médecin qui risquerait de s’en trouver fragilisée.

Le Dr PRUDHOMME conclut synthétiquement qu’en dehors des urgences, le signalement intervient au terme d’un cheminement dans le cadre d’un suivi par le médecin traitant.