Ecrits médicaux et lettre d’adressage de patients salariés à des confrères spécialistes : précautions à prendre !

 

Au travers de ses missions de conseil et de conciliation, à l’occasion notamment de plaintes à l’encontre des médecins inscrits à son Tableau, le Conseil de l’Ordre est un observateur privilégié des certificats médicaux litigieux.

Nous nous intéressons ici aux écrits remis à vos patients salariés ou aux confrères spécialistes à qui vous adressez votre patient salarié.

La relation empathique, parfois de longue date, avec le patient peut conduire le médecin à intégrer dans son diagnostic la souffrance au travail qu’il lui décrit au fil des consultations. Or, quelle que soit la réalité de l’existence de conditions de travail dégradées par des phénomènes de harcèlement, de placardisation, d’humiliations susceptible d’être à l’origine des symptômes observés chez le patient, le médecin ne peut en aucun cas en faire état dans ses écrits.

Le médecin doit strictement s’en tenir à la description des fruits de son examen clinique et de son diagnostic. Il n’entre pas dans sa mission d’établir un lien de causalité entre la situation de souffrance au travail, dont il n’est pas l’observateur, qui lui est relaté par le patient et les conséquences strictement médicales dont il fait le constat dans son cabinet. Le seul fait de suggérer par écrit un lien de cause à effet entre les conditions de travail décrites par le patient et son état de santé expose le médecin à des poursuites devant la juridiction disciplinaire.

C’est au médecin expert, éventuellement saisi dans le cadre d’une procédure, ou à l’avocat du patient d’établir l’existence d’une relation entre des faits survenus dans la sphère professionnelle du patient et les observations médicales consignées par le médecin dans ses écrits.

Le médecin qui pense aider son patient en endossant le rôle d’expert ou d’avocat encourt bien souvent une plainte de la part de l’employeur avec une procédure ordinale devant la Chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins et une sanction ordinale à la clé. En outre, le certificat se verra écarté des débats et les éventuels informations pertinentes relatives à l’état de santé du patient ne pourront donc pas être utilisées.

Il est important de mesurer l’importance capitale que revêtent les écrits médicaux dans les procédures judiciaires et notamment devant le Conseil de Prudhomme. Les magistrats accordent en effet un crédit très important aux écrits médicaux qui facilitent et orientent très fortement les décisions qu’ils doivent rendre. On comprend dans ces conditions que les employeurs assignés aux Prud’homme, en raison de conditions de travail présentées comme contraire au droit, usent de tout moyen pour neutraliser les effets d’un certificat médical permettant de faire un lien évident entre ces prétendues conditions de travail dégradées et un syndrome dépressif / un déséquilibre psychique / un « burn out », etc. Et, ce faisant, ils ont le droit avec eux et le risque d’une condamnation disciplinaire est majeur.

Il en va de même des courriers d’adressage d’un patient salarié à un confrère spécialiste (notamment psychiatre) dans lesquels le médecin relate par le menu les souffrances au travail endurées par le patient nécessitant une prise en charge médicale. Le patient, utilement conseillé par son avocat, conservera une copie de la lettre d’adressage qui se retrouvera dans les pièces de la procédure prud’homale. Le médecin rédacteur, immanquablement cible d’une plainte de l’employeur, pourra invoquer sa bonne foi et jurer que l’écrit n’était destiné qu’à son confrère spécialiste, il n’en demeure pas moins qu’il encourra une sanction devant la Chambre disciplinaire de la même façon que s’il avait rédigé un certificat en ces termes.

Là aussi la prudence est donc de rigueur, tant dans la forme (on ne remet pas un courrier possiblement litigieux à son patient) que dans le fond (on ne couche pas sur le papier l’idée que l’on se fait de la causalité entre un harcèlement prétendu et un état de santé constaté).

Vous l’aurez compris, le Conseil reçoit de nombreuses plaintes de sociétés contre des médecins rédacteurs d’écrits jugés tendancieux ou complaisants.

Nous souhaitons donc vous sensibiliser sur les formulations qu’il convient d’éviter. Vous trouverez ci-après un florilège d’écrits à éviter absolument sous peine de faire l’objet d’une plainte disciplinaire :

« Je soussigné, Dr XXX, docteur en médecine, certifie que Madame YYY présente un « burn out » professionnel associé à un syndrome dépressif nécessitant un traitement anxiolytique et antidépresseur prolongé ainsi qu’un arrêt de travail prolongé. »

« (…) Je certifie avoir examiné cette dernière pour un syndrome dépressif suite d’un conflit avec son patron au travail qui nécessite une mise sous traitement médical »

« syndrome dépressif et condition de travail harcelante »

Courriers adressés à des confrères médecin du travail (généralement remis sous pli au patient) :

« (…) j’attire votre attention sur l’interaction complexe avec le responsable professionnel de M. XXX et les interactions professionnelles paradoxales qui perturbent significativement son équilibre psychique et deviennent de plus en plus préjudiciables pour sa santé (…)».

« (…) l’entreprise lui mettant une forte pression, plusieurs de ses collègues ont démissionné. Il semble que l’on essaye de le pousser à la démission car l’entreprise va mal. (…) »

« Chers confrères, merci de votre aide et avis pour Madame YYY qui souffre encore d’un burn out à la suite de fortes difficultés dans son travail. Merci pour elle. »

« (…) un état anxiodépressif lié à des contrariétés professionnelles qui durent depuis longtemps (…) ».

Chacun de ces écrits postule que les symptômes observés ont une cause professionnelle. Ils tombent donc sous le coup des articles R.4127-28 et R.4127-76 du Code de la Santé Publique qui interdisent aux médecins la rédaction d’écrits tendancieux ou de complaisance et les contraignent à ne relater dans leurs certificats que ce qu’ils ont constaté médicalement. Ils sont donc susceptibles de donner lieu à une procédure disciplinaire à l’encontre de leur rédacteur.

Si vous êtes sollicité par un patient pour la rédaction d’un écrit à l’issue d’une consultation durant laquelle il vous a décrit des conditions de travail entraînant une souffrance, vous ne pouvez pas reprendre les éléments relatifs au contexte professionnel relaté. Vous ne pouvez évoquer que vos constatations médicales et uniquement vos constatations médicales. A noter que des termes tels que « burn out » ou « épuisement professionnel » comportent en eux-mêmes l’expression d’une relation de causalité et sont donc, vous l’aurez compris, à éviter absolument.

En cas de doute sur l’établissement d’un certificat, n’hésitez pas à prendre contact avec votre Conseil de l’Ordre.